Le cinéma de Pedro Almodovar en cinq motifs | Les Inrocks (2025)

À l’occasion de la ressortie de dix-neuf de ses films en salles depuis mercredi, petit retour sur quelques motifs du cinéma de Pedro Almodovar. Une œuvre d’une grande cohérence où chaque film est une nouvelle pièce d’un édifice de cinéma.

Alors que la Mostra de Venise, en septembre prochain, a décidé deremettre à Pedro Almodovarun Lion d’or d’honneur pour l’ensemble de sa carrière, une rétrospective de son œuvre permet depuis mercredi en France de découvrir ou redécouvrir dix-neuf de ses films (dans le désordre) : Dans les ténèbres, En chair et en os, Femmes au bord de la crise de nerfs, La fleur de mon secret, Kika, La loi du désir, Matador, Pepi, Luci, Bom et autres filles du quartier, Qu’est-ce que j’ai fait pour mériter ça ?, Talons aiguilles, Attache-moi, Les amants passagers, Étreintes brisées, Julieta, La mauvaise éducation, Parle avec elle, La piel que habito, Tout sur ma mère etVolver. Occasion pour nous de revenir sur quelques-uns des motifs d’une œuvre d’une rare cohérence, qui rime avec elle-même en retravaillant sans cesse les mêmes obsessions en orchestrant leurs variations.

Couleurs :

Quand on pense au cinéma d’Almodovar, on pense tout de suite aux couleurs de ses films. Depuis ses débuts, il aime les couleurs vives et chaudes. Il travaille la palette de ses films et leur lumière d’une manière purement symbolique. Almodovar est un obsessionnel, pour lui dieu est dans les détails, et il ne laissera jamais passer une couleur qui ne serait pas celle qu’il convient de mettre dans l’image. Tout est ultra-précis. Les couleurs renvoient aussi à un cinéma hollywoodien en Technicolor qui l’a beaucoup inspiré et l’inspire encore (notamment dans Julieta, où le film regorge de citations de films d’Hitchcock) : les mélodrames de Vincente Minneli et ceux de Douglas Sirk, notamment.

Comédie etmélodrame :

Le cinéma n’est pas un cinéma réaliste. Son monde est celui de la fiction. Dans Tout sur ma mère, un personnage dit à un moment : «Il faudrait interdire le Réel«. Une réplique qu’auraitsans doute adoréle psychanalyste Jacques Lacan. Ainsi que François Truffaut : «Les films sont plus beaux que la vie», faisait-il dire au personnage de cinéaste qu’il interprétait dans La Nuit américaine. Le cinéma d’Almodovar, dans sa première période (celle de la Movida, ce mouvement de la jeunesse espagnole post-franquiste qui réclamait une libération des mœurs), tire plutôt sur la comédie, voire le pastiche. Son premier vrai succès, du moins en France, est Femmes au bord de la crise de nerfs. Plus il vieillit, et plus son cinéma s’obscurcit. On y rit de moins en moins, le mélodrame et le tragique envahissent la scène. Avec toujours, ou disons souvent, des petites pointes d’humour.

https://www.youtube.com/watch?v=GIZeOzKxNlo

Hommes et femmes :

La loi du désir est un film central dans son œuvre. Il y développe une histoire qu’il reprendra plus tard dansLa mauvaise éducation, sur un ton plus amer : celui d’hommes mûrs et installés soudain émus, détruits par le désir que leur inspirent de jeunes hommes irrésistibles.Almodovar est homosexuel et ne s’en est jamais caché. Il y a des personnages homosexuels (hommes et femmes) dans ses films, mais on y croise aussi beaucoup de transformistes et des transsexuels, et évidemment des hétérosexuels. Mais il arrive que des hétéros et des homos couchent ensemble et il est fort possible que cette figure soit pour Almodovar une forme d’idéal d’amour et de sexualité : universel, flexible.

Almodovar est, encore aujourd’hui, réputé pour la qualité de ses personnages de femmes et pour sa direction d’actrices. Avrai dire, il dirige aussi bien les hommes, mais la profession peine à l’imaginer. L’année deVolver, par exemple, toutes les actrices principales du film (Penélope Cruz, Lola Dueñas, Blanca Portillo, Carmen Maura, Yohana CoboetChus Lampreave) remportèrent le prix d’interprétation féminine à Cannes.

Espagne :

Almodovar aime et sait jouer avec les clichés folkloriques de son pays. Alors oui, on trouve dans ses films des statues de la vierge, des cordes de piments séchés, des matadors, de la guitare,etc.Fruit de la contre-culture espagnole de la fin des années 70, Almodóvar n’en est pas moins devenu, vu de l’étranger, le metteur en scène dont les films nous renvoient l’image de l’Espagne la plus conforme au fantasme commun. Avec parfois quelques pointes de sud ou central américanisme pas moins clicheteux (cocktails à la tequila ou cha-cha-chas endiablés). Espagnol, Almodovar l’est et l’assume. A une époque, il avait envisagéd’écrire et de tourner un film en France avec Valérie Lemercier. Il y a rapidement renoncé, se sentant incapable de travailler dans une autre langue ou un autre pays que les siens.

https://www.youtube.com/watch?v=ilRpd1p8WtQ

Le désir et la mort :

«Le désir» (El Deseo) est le nom de la maison de production qu’il a fondée avec son frère Agustin, et ce n’est pas un hasard. Le désir guide tout, et Almodovar vous dira qu’il se souvient très bien de l’instant où il l’a ressenti pour la première fois de sa vie, ce qui n’est pas si banal. Ce sentiment étrange, physique et violent habite beaucoup de ses personnages et tient une grande place dans ses récits. Eros et Tanatos sont souvent liés dans son cinéma, avec un point culminant que seraitMatador, où une femme tue ses amants au moment où ils jouissent en plantant une dague de matador dans leur nuque. Truffaut disait qu’Hitchcock «tournait les scènes d’amour comme des scènes de crime, et les scènes de crime comme des scènes d’amour». Almodovar a retenu la leçon. Et à chaque fois que nous rencontrons Almodovar en entretien, il reparle du désir, comme si au fond, il s’étonnait encore et toujours de son existence, comme s’il ne s’y était jamais habitué.

Jean-Baptiste Morain

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